Recueil de nouvelles signées Moto Hagio.
Titre Original :
Titre Français : Moto Hagio – Anthologie
Auteur : HAGIO Moto
nbr. volumes en France : 1
nbr. volumes au Japon : 0
Année de Parution :
Editeur : Glénat
Ce n’est plus un secret pour personne : les classiques du manga ont du mal à s’imposer en France, à plus forte raison lorsqu’ils ont été écrits par des femmes. Et pour cause, la plupart n’ont même pas été publiés.
Prenant la suite de Kaze Manga – dont Le Cœur de Thomas fût salué par la critique mais boudé par le public – Glénat fait le meilleur choix possible afin de nous faire découvrir Moto Hagio : celui de nous proposer une anthologie. Un choix d’autant plus logique que la carrière de l’auteur fût marquée par de nombreuses histoires courtes – dont certaines particulièrement renommées au Japon – ce qui facilite la conception d’un tel recueil, tout en donnant un aperçu de la diversité de son travail.
L’édition en question est sobre, mais de qualité, et contient l’appareil critique indispensable pour une telle œuvre de patrimoine.
En tant normal, il est délicat de parler de telles anthologies – comme ce fût d’ailleurs le cas avec celle parue aux USA, intitulée A Drunken Dream & other stories – car la qualité est généralement inconstante d’une histoire à l’autre. Ici, aucun problème : l’éditeur a sélectionné le meilleur, et aucun récit ne fait tâche par rapport aux autres. Au contraire, ils méritent absolument tous d’y figurer.
Glénat a réparti les histoires en question en deux tomes : « De la Rêverie », qui s’attarde sur le fantastique et la science-fiction (deux genres chers à la mangaka), et « De l’Humain », qui comme son nom l’indique est consacré aux relations humaines. Là encore, cela parait judicieux.
Le seul défaut de l’anthologie – lequel peut difficilement être reproché à l’éditeur – c’est que certaines ont déjà été publiées en langue anglaise, notamment dans A Drunken Dream & other stories ; donc ceux qui n’ont pas eu la patience d’attendre cet ouvrage – ou, plus vraisemblablement, qui ne s’attendaient pas à ce qu’il sorte un jour – risquent de retrouver des titres qu’ils connaissent. Fort heureusement, il contient aussi son lot d’inédits.
« De la Rêverie » est, à mon sens, le tome le plus intéressant. Il commence avec Un rêve ivre, récit qui reprend les grandes thématiques de l’auteur : le destin, la réincarnation, l’amour impossible, le tout dans une ambiance tenant tout autant du fantastique que de la SF, puisqu’il se déroule dans le futur ; s’il est peut-être un peu court pour être aussi poignant qu’il aurait pu, il jette les bases de son style et offre une lecture touchante.
Le petit flûtiste de la forêt blanche, plus orienté sur le fantastique, se déroule dans une Europe fantasmée et met en scène un véritable conte horrifique, troublant à souhait.
Surtout, le volume est construit autour de Nous sommes onze, une de ses œuvres les plus célèbres, et de sa suite Est et Ouest, un lointain horizon. Le premier est un mélange incroyable de SF, d’horreur, de policier en huis-clos, et de drame, dans lequel la mangaka expérimente énormément, crée des peuplades extra-terrestres aussi élaborées que crédibles, rajoute une forte dose de tension, et se permet même d’évoquer le développement sexuel des individus, un parti-pris osé dans le Japon de l’époque. Il en résulte un récit qui prend aux tripes et ne pourra laisser personne indifférent. Le second reprend le même univers, mais au service d’une histoire de monarchie, de complot, et de trahison, dotée d’un souffle épique magistral même si elle s’avère un cran moins ambitieuse que son glorieux ainé.
« De l’Humain » ne démérite en rien. La princesse iguane, allégorie de la propre vie de Moto Hagio, décrit la relation conflictuelle entre une mère et sa fille, qui apparait sous la forme d’un iguane ; une histoire poignante et d’une incroyable justesse. Mon côté ange narre la cohabitation compliquée entre deux sœurs siamoises que tout oppose, et dont une est pour ainsi dire parasitée par l’autre ; le résultat est un récit fascinant, étrangement cruel alors qu’il est aussi rempli d’espoir. Le pensionnat de Novembre, pionnier du shônen aï, est aussi le prototype du Cœur de Thomas ; trop court pour développer quelque chose d’aussi poignant que ce célèbre classique, il s’agit d’un immanquable pour les amateurs de ce-dernier. Pauvre maman suit un homme venu pleurer l’ancien amour de sa vie, et qui va découvrir dans quelles circonstances terribles celle-ci est décédée ; là encore, l’auteur alterne habilement entre tendresse, drame, et cruauté, même si elle se montre un peu trop prévisible. Enfin, Le coquetier mélange guerre, résistance, prostitution de mineurs, et assassinat dans une ville de Paris en proie à l’occupation allemande ; bien loin du kitsch auquel nous aurions pu nous attendre, il s’agit d’une histoire captivante, mais tout-aussi dramatique que les précédentes.
Il est intéressant de noter que si les relations humaines dans les shôjo sont avant tout des relations amoureuses, Moto Hagio ne se limite pas à elles mais s’intéresse à un spectre beaucoup plus large.
Grâce à ces 9 nouvelles, cette anthologie nous montre tout le talent de Moto Hagio, mangaka dont le manque de reconnaissance en France ne témoigne absolument pas de ses grandes qualités. Elle n’a pas son pareil pour mélanger les genres, créer des personnages et des univers à la fois marquants et élaborés, et imaginer des récits aussi touchants que captivants. Chez elle, le fantastique peut surgir à tout moment, mais elle sait tout autant transformer le quotidien en une grande aventure. Certes, le dessin accuse son âge, mais il n’est absolument pas rebutant.
Non seulement cette anthologie est une merveille, offrant une expérience de lecture inédite en France et fascinante de bout-en-bout, mais en plus l’éditeur français s’est fendu d’un produit des plus soignés, digne des œuvres qu’il accompagne, proposant bibliographie de l’auteur, description des récits, et textes d’accompagnement toujours pertinents. Si vous vous intéressez aux manga, il serait criminel de passer à côté.
